Symbole vaudois au musée de l’habitat rural, la ferme de la famille Fattebert a été inaugurée fin août 1985, après son déménagement dans les environs de Brienz (BE). Retour sur cette aventure et cette importante famille locale.

«Une fierté légitime d’être les porte-drapeaux du canton de Vaud dans cette invasion d’un petit coin du canton de Berne.» Par ces quelques lignes, Jean-Daniel Fattebert, ancien rédacteur en chef de La Broye, débutait le compte rendu de l’inauguration de la ferme de Villars-Bramard au Musée suisse de l’habitat rural de Ballenberg, dans la Feuille d’Avis de Lucens du 13 septembre 1985. «Dans cet état, on la reprendrait bien chez nous», témoignaient des habitants du village de la commune de Valbroye, dans les colonnes du 24 heures. Depuis quarante ans et quelques jours, cette bâtisse villageoise représente le Pays de Vaud, dans le musée national des environs de Brienz et «impressionne par son ampleur et la qualité de ses baies», selon son descriptif.
Comment une demeure broyarde s’est-elle retrouvée dans le canton de Berne? En 1980, le département des travaux publics était chargé de trouver un ou plusieurs objets pour illustrer la présence vaudoise. Curieuse similitude avec l’époque actuelle, il s’agissait alors de «conserver la mémoire du passé et garder quelques témoins de ces époques, où la technique moderne n’existait pas encore».
Le choix se portera sur cette construction tripartite caractéristique de la période fin XVIIIe début XIXe siècle. En septembre 1983, le Grand Conseil validait à la quasi-unanimité une participation de 600 000 francs au déménagement, sur un budget total de 1,6 million. Député de Missy, Michel Thévoz rappelait que le Ballenberg «est le témoin d’une civilisation rurale encore proche de nous dans le temps (…), mais quand même fort éloignée de la société de consommation actuelle caractérisée par ses emballages perdus, ses gadgets, ses montagnes de déchets et sa frénésie habilement entretenue par la publicité». C’était il y a plus de quarante ans!

«Il s’agit d’un type de construction consécutif à une transformation profonde de l’agriculture (…). L’augmentation de la production agricole, l’introduction de nouvelles cultures ont créé de nouveaux besoins concrétisés par des volumes de stockage (grange) plus grands», mentionnait l’exposé des motifs et projet de décret du canton. Et de préciser que malgré sa situation à la limite entre les cantons de Vaud et Fribourg, cette ferme inhabitée alors depuis une vingtaine d’années, présente des caractéristiques typiques du Gros-de-Vaud.
«Pour le déménagement, il a fallu démonter et numéroter pièce par pièce l’édifice, puis le reconstruire plus beau qu’avant sur le site prévu (en moins d’une année)», décrit encore le quotidien vaudois lors de l’inauguration. Et de se demander si Jean-François Fattebert pouvait imaginer que sa maison finirait ses vieux jours dans l’Oberland quand il en a lancé la construction, en 1800. «D’allure imposante, elle n’est plus bernoise (jusqu’en 1798) et pas encore vaudoise (1803)», écrit encore le quotidien.
Présents dans l’ancienne commune de Villars-Bramard depuis le Moyen Age, les Fattebert incarnaient alors en quelque sorte une élite paysanne. Dans le cadre du projet «Mensch und Haus. Wohnen, bauen, Wirtschaften in der ländlichen Schweiz» de l’Université de Bâle, bénéficiant d’un soutien du Fonds national suisse pour la recherche scientifique, l’archéologue Olivier Rendu s’est penché sur la famille Fattebert, comme élite rurale vaudoise. «Les élites rurales sont un concept développé par les historiens pour envisager une catégorie sociale, qui a fait peu l’objet d’études spécifiques pour la Suisse. Il s’agit d’une notion hétérogène qui regroupe différentes catégories de la population rurale: paysans aisés, marchands, artisans, notaires, pasteurs, curés, etc. Ils possédaient certaines caractéristiques communes, à commencer par l’aisance financière, des patrimoines fonciers de grande envergure, occupaient les places importantes au niveau communal et paroissial et jouissaient d’un prestige (…)», explique l’historien. La famille Fattebert en faisait partie.
Père de Jean-François, Pierre Daniel Fattebert (1721-1787) a occupé les fonctions de gouverneur de la commune de Villars-Bramard et de juge du consistoire de la paroisse de Dompierre. Durant sa vie, il a été particulièrement actif sur le marché de la terre de la région, pour porter son patrimoine foncier à une trentaine d’hectares, quantité fort impressionnante à cette époque. A son décès, chacun de ses quatre fils recevra environ 7 hectares et une habitation, des héritages confortables.
C’est à ce moment-là que nous trouvons les premières informations concernant la maison du Ballenberg. Dans l’acte de partage des biens de Pierre Daniel, la maison est dévolue à Jean-François Fattebert (1748-1833). Il obtient l’autorisation de ses frères pour reconstruire l’édifice, désigné par la formule «vieille maison», à l’aide de «50 plants de sapin pour équarrir et 20 plants propres à être sciés en planches, pris sur les parcelles de bois appartenant à la famille dans la forêt de Farsin», écrivait Olivier Rendu, dans une récente édition des cahiers du patrimoine de la commune de Valbroye. Preuve que tous les matériaux sont régionaux, Jean-François se réserve aussi le droit d’exploiter la carrière de molasse de la fratrie.
Réunissant habitation et parties économiques sous de larges proportions, la ferme est inaugurée en 1800. Les pièces à vivre sont nombreuses et réparties sur deux étages. «Au rez-de-chaussée, elles sont séparées de la grange, du grenier et de l’aire de battage par un couloir qui traverse tout le bâtiment, disposition classique des maisons de la région», décrit l’historien. Les importants volumes agricoles témoignent de la puissance économique de la famille. L’écurie peut abriter près d’une vingtaine de têtes de bétail. Il se dit aussi que ses volets verts montreraient que les Fattebert auraient adhéré à la nouvelle indépendance vaudoise, proclamée en 1803.

Au décès de Jean-François, ses deux fils Jacob-Daniel (1773-1855) et Jean-David (1784-?), cohabiteront dans la maison familiale. Elle sera ensuite reprise par la fille du premier, Rose-Lydie (1827-?), qui épousera un Pittet du même village. Les traces historiques de la maison se perdent alors jusque dans les années 1980. Un privé souhaitait alors démonter la bâtisse et y construire autre chose. Mais les coûts lui font abandonner son projet. Pour le plus grand bonheur du canton de Vaud et du musée. Dans l’Oberland, l’atmosphère d’une ferme vaudoise de l’époque, avec portrait du général Guisan, est reconstituée. Un petit bout de patrimoine broyard!
Dans le quartier romand du musée suisse en plein air, la ferme villageoise de Villars-Bramard côtoie un grenier à blé d’Ecoteaux datant d’environ 1500, et une autre maison multifonctions d’Ecoteaux. Un peu plus loin, le canton de Fribourg est symbolisé par une ferme paysanne de Tinterin (Tentlingen, 1790). Un grenier à blé et un four à pain d’Heitenried, ainsi qu’une cave à choux d’Oberschrot sont aussi reconstitués. Le musée (de 10 h à 17 h) qui a fermé ses portes pour l’hiver réouvrira au printemps 2026.
SGA